Mon dernier soir à Montebello
En octobre 2012 j’ai animé 3 semaines d’immersion à Montebello. Petit village du Québec plus connu pour son château ‘’plus grosse cabane en bois rond de l’Amérique du Nord’’ et son festival de rock qui vient de déposer le bilan, la richesse de Montebello est pourtant et à mon humble avis ses habitants. Attention à l’utilisation de ce terme. En Québécois le mot ‘’habitant’’ veut dire ‘’plouc’’, en France ça veut juste dire quelqu’un qui habite. Continuez de lire, vous allez comprendre pourquoi.
Me voici donc chez Estelle, franco-ontarienne installée de l’autre côté de la rivière, qui m’accorde le gîte et le couvert. Un jour je lui demande si, à tout hasard, une guitare traîne dans les affaires de son fils qui est maintenant installé à Montréal. Elle me répond par la négative mais interpelle plus tard un jeune qui marche dans la rue avec cet instrument. C’est comme ça dans les petits villages, ‘’Hey, prêterais-tu ta guitare à mon amie ?’’. Le jeune répond poliment qu’il en a besoin à ce moment-là mais qu’il participe et m’invite à une soirée au bar d’à côté. Littéralement à côté : Montebello est constitué d’une rue principale où la majorité des commerces sont installés, les autres rues sont pour la plupart pour des résidences. Estelle me transmet donc le message : ‘’Le jeune te dit d’aller au Central ce soir.’’
Ma journée de cours se termine, je rentre me changer au gîte et je marche 1.5 pâté de maison pour rejoindre le bar Central. C’est important pour moi d’aller socialiser après le travail, où que je sois. Passer 3 semaines à Montebello signifie 3 vendredis sans voir mon harem et c’est très difficile pour moi.
J’entre dans l’estaminet. Silence soudain, toutes les têtes se retournent vers moi, comme dans les Westerns. Je salue la foule d’un mouvement de tête et m’installe au bar en toute timidité. Les musiciens ne sont pas encore là. Je commande une pinte et les conversations reprennent. Un monsieur un peu plus loin lui aussi installé au bar me salue et entame la conversation. D’autres se joignent à nous car ils veulent savoir qui je suis et d’où je viens. Ils ont déjà leur propre idée de moi, à savoir que comme je suis française, je travaille forcément au château dans l’hôtellerie-restauration. Je suis ravie de briser leurs stéréotypes et de leur expliquer que je suis ici pour enseigner le français aux fonctionnaires anglophones. Ils sourient et l’un d’eux lâche ‘’Bonne chance pour faire rentrer kekchose dans les têtes carrées’’. Tout le monde rit, moi y compris. ‘’ Non non je vous assure, c’est possible faut juste trouver comment.’’
La glace ainsi brisée, je continue de siroter ma cervoise bien méritée et de discuter avec les locaux. Les musiciens arrivent.
Ils s’installent et commencent à jouer et chanter. Il y a le jeune guitariste, un autre guitariste qui chante et un gars au piano. Ils reprennent des chansons d’ici. Le chanteur ne me reconnaît pas et cela l’intrigue car il connaît tout le village. D'autant plus qu'il voit mes yeux regarder ses doigts se promener sur le manche et n’est pas dupe. A la fin d’une des chansons, il me demande :
- Tu joues aussi ?
- Euh, oui, un peu mais pas aussi bien que toi.
- Aweille, joue nous kekchose, me dit-il en me tendant sa guitare.
Tous les regards se braquent sur moi pour la deuxième fois de la soirée. Très hésitante, je commence à gratter doucement. Je suis terrifiée, c’est la première fois que je joue devant des inconnus.
- Plus fort, on n’entend pas !
- Mais, euh… je suis gênée…
- Ginette ! La ptite est gênée, donne-zi un shooter !
- Euh, quoi… ?
Tout le bar ou presque prend un shooter en même temps. Je suis touchée par l’initiative et le breuvage fait effet très rapidement. J’entame alors ‘’Je l’aime à mourir’’ de Francis Cabrel. Oui, je chante parfois.
Tout le monde applaudit à la fin de la chanson. Petite pause le temps de discuter ce qu’on pourrait jouer ensemble.
- Ginette ! Va chercher l’autre guitare en haut !
Ginette descend avec l’instrument. Nous pouvons maintenant former ce groupe éphémère.
Je commence à gratter les premières notes de ‘’Long Train Running’’. Le chanteur reconnaît immédiatement, et nous voilà partis à 3 guitares, 1 chanteur et un piano.
Le décor est posé pour toute la soirée. On enchaîne tout ce qu’on connaît, on joue à l’oreille pour celles qu’on n’a jamais jouées avant dont ‘’La ptite grenouille’’, chanson francophone (très) cochonne. Plus j’ai l’air choquée plus ça fait rire l’assemblée. C’est pas grave, on passe du bon temps et les shooters s’enchaînent car plus on en boit, plus on joue.
Je commence à fatiguer, salue et remercie tout le monde et rentre me coucher, titubant quelque peu sur les escaliers en métal qui montent à ma chambre (Il me semble qu’il n’y avait pas autant de marches il y a quelques heures…).
7h, le réveil sonne. Ma tête aussi, et le lit bouge tout seul. J’ai également de la moquette dans la bouche. Je me traîne jusqu’à la bouilloire pour avaler un café en me demandant comment je vais pouvoir tenir la journée.
Peut être qu’une douche m’aidera. Non.
Je rampe presque jusqu’à l’auberge où est ma salle de classe. J’attrape au passage un autre café, une bouteille d’eau et un Getorade.
Mes étudiants travaillent comme d’habitude mais sont intrigués par mes 3 boissons. Je pense qu’ils me soupçonnent un peu. La paranoïa me fait croire que je sens encore le fond de tonne à 200 km à la ronde malgré une douche, un brossage de dents, un long bain de bouche, un café, de l’eau et une boisson hydratante. Concentre-toi Ana, on attaque le discours indirect.
Quelqu’un frappe et entre. C’est Lucie, ma patronne qui arrive d’Ottawa et vient faire un tour vu que c’est le dernier jour. Elle salue les étudiants mais affiche un petit sourire en coin.
- Ça va Ana ?
- Oui (J’évite de trop parler).
- As-tu passé une belle soirée ?
Je hoche la tête et souris. Moins je parle, moins elle en saura.
- J’arrive du dépanneur, dit elle.
- Mmhmmmh…
- Le village entier parle de la maîtresse d’école
Je ne contrôle pas mon sourire. Bon, j’ai pas le choix de parler un peu.
- Ah ? Oui, ils sont accueillants.
Lucie pince les lèvres pour essayer feindre un mécontentement mais ne peut s’empêcher de sourire elle aussi. Elle voit que je suis quand même au poste, efficace et elle trouve la situation assez drôle. Je la connais, je sais que ça ne s’arrêtera pas là.
La matinée de cours se termine, nous allons manger. On arrive chez Estelle. C’est clair qu’elle est au courant, vu son sourire. Contrairement aux dernières semaines, elle me sert en premier.
- Tiens la jeune, ça va te faire du bien.
- Merci.
L’énergie et les pensées claires reviennent peu à peu. Je peux enfin raconter ma soirée, et je n’ai pas honte parce que la qualité de mon enseignement n’a pas changé, même après une telle soirée.
Je savais que Lucie n’en finirait pas là. Au cours des 4 années suivantes, elle a suggéré aux étudiants ''bons vivants'' de me demander de parler de Montebello.
Me voici donc chez Estelle, franco-ontarienne installée de l’autre côté de la rivière, qui m’accorde le gîte et le couvert. Un jour je lui demande si, à tout hasard, une guitare traîne dans les affaires de son fils qui est maintenant installé à Montréal. Elle me répond par la négative mais interpelle plus tard un jeune qui marche dans la rue avec cet instrument. C’est comme ça dans les petits villages, ‘’Hey, prêterais-tu ta guitare à mon amie ?’’. Le jeune répond poliment qu’il en a besoin à ce moment-là mais qu’il participe et m’invite à une soirée au bar d’à côté. Littéralement à côté : Montebello est constitué d’une rue principale où la majorité des commerces sont installés, les autres rues sont pour la plupart pour des résidences. Estelle me transmet donc le message : ‘’Le jeune te dit d’aller au Central ce soir.’’
Ma journée de cours se termine, je rentre me changer au gîte et je marche 1.5 pâté de maison pour rejoindre le bar Central. C’est important pour moi d’aller socialiser après le travail, où que je sois. Passer 3 semaines à Montebello signifie 3 vendredis sans voir mon harem et c’est très difficile pour moi.
J’entre dans l’estaminet. Silence soudain, toutes les têtes se retournent vers moi, comme dans les Westerns. Je salue la foule d’un mouvement de tête et m’installe au bar en toute timidité. Les musiciens ne sont pas encore là. Je commande une pinte et les conversations reprennent. Un monsieur un peu plus loin lui aussi installé au bar me salue et entame la conversation. D’autres se joignent à nous car ils veulent savoir qui je suis et d’où je viens. Ils ont déjà leur propre idée de moi, à savoir que comme je suis française, je travaille forcément au château dans l’hôtellerie-restauration. Je suis ravie de briser leurs stéréotypes et de leur expliquer que je suis ici pour enseigner le français aux fonctionnaires anglophones. Ils sourient et l’un d’eux lâche ‘’Bonne chance pour faire rentrer kekchose dans les têtes carrées’’. Tout le monde rit, moi y compris. ‘’ Non non je vous assure, c’est possible faut juste trouver comment.’’
La glace ainsi brisée, je continue de siroter ma cervoise bien méritée et de discuter avec les locaux. Les musiciens arrivent.
Ils s’installent et commencent à jouer et chanter. Il y a le jeune guitariste, un autre guitariste qui chante et un gars au piano. Ils reprennent des chansons d’ici. Le chanteur ne me reconnaît pas et cela l’intrigue car il connaît tout le village. D'autant plus qu'il voit mes yeux regarder ses doigts se promener sur le manche et n’est pas dupe. A la fin d’une des chansons, il me demande :
- Tu joues aussi ?
- Euh, oui, un peu mais pas aussi bien que toi.
- Aweille, joue nous kekchose, me dit-il en me tendant sa guitare.
Tous les regards se braquent sur moi pour la deuxième fois de la soirée. Très hésitante, je commence à gratter doucement. Je suis terrifiée, c’est la première fois que je joue devant des inconnus.
- Plus fort, on n’entend pas !
- Mais, euh… je suis gênée…
- Ginette ! La ptite est gênée, donne-zi un shooter !
- Euh, quoi… ?
Tout le bar ou presque prend un shooter en même temps. Je suis touchée par l’initiative et le breuvage fait effet très rapidement. J’entame alors ‘’Je l’aime à mourir’’ de Francis Cabrel. Oui, je chante parfois.
Tout le monde applaudit à la fin de la chanson. Petite pause le temps de discuter ce qu’on pourrait jouer ensemble.
- Ginette ! Va chercher l’autre guitare en haut !
Ginette descend avec l’instrument. Nous pouvons maintenant former ce groupe éphémère.
Je commence à gratter les premières notes de ‘’Long Train Running’’. Le chanteur reconnaît immédiatement, et nous voilà partis à 3 guitares, 1 chanteur et un piano.
Le décor est posé pour toute la soirée. On enchaîne tout ce qu’on connaît, on joue à l’oreille pour celles qu’on n’a jamais jouées avant dont ‘’La ptite grenouille’’, chanson francophone (très) cochonne. Plus j’ai l’air choquée plus ça fait rire l’assemblée. C’est pas grave, on passe du bon temps et les shooters s’enchaînent car plus on en boit, plus on joue.
Je commence à fatiguer, salue et remercie tout le monde et rentre me coucher, titubant quelque peu sur les escaliers en métal qui montent à ma chambre (Il me semble qu’il n’y avait pas autant de marches il y a quelques heures…).
7h, le réveil sonne. Ma tête aussi, et le lit bouge tout seul. J’ai également de la moquette dans la bouche. Je me traîne jusqu’à la bouilloire pour avaler un café en me demandant comment je vais pouvoir tenir la journée.
Peut être qu’une douche m’aidera. Non.
Je rampe presque jusqu’à l’auberge où est ma salle de classe. J’attrape au passage un autre café, une bouteille d’eau et un Getorade.
Mes étudiants travaillent comme d’habitude mais sont intrigués par mes 3 boissons. Je pense qu’ils me soupçonnent un peu. La paranoïa me fait croire que je sens encore le fond de tonne à 200 km à la ronde malgré une douche, un brossage de dents, un long bain de bouche, un café, de l’eau et une boisson hydratante. Concentre-toi Ana, on attaque le discours indirect.
Quelqu’un frappe et entre. C’est Lucie, ma patronne qui arrive d’Ottawa et vient faire un tour vu que c’est le dernier jour. Elle salue les étudiants mais affiche un petit sourire en coin.
- Ça va Ana ?
- Oui (J’évite de trop parler).
- As-tu passé une belle soirée ?
Je hoche la tête et souris. Moins je parle, moins elle en saura.
- J’arrive du dépanneur, dit elle.
- Mmhmmmh…
- Le village entier parle de la maîtresse d’école
Je ne contrôle pas mon sourire. Bon, j’ai pas le choix de parler un peu.
- Ah ? Oui, ils sont accueillants.
Lucie pince les lèvres pour essayer feindre un mécontentement mais ne peut s’empêcher de sourire elle aussi. Elle voit que je suis quand même au poste, efficace et elle trouve la situation assez drôle. Je la connais, je sais que ça ne s’arrêtera pas là.
La matinée de cours se termine, nous allons manger. On arrive chez Estelle. C’est clair qu’elle est au courant, vu son sourire. Contrairement aux dernières semaines, elle me sert en premier.
- Tiens la jeune, ça va te faire du bien.
- Merci.
L’énergie et les pensées claires reviennent peu à peu. Je peux enfin raconter ma soirée, et je n’ai pas honte parce que la qualité de mon enseignement n’a pas changé, même après une telle soirée.
Je savais que Lucie n’en finirait pas là. Au cours des 4 années suivantes, elle a suggéré aux étudiants ''bons vivants'' de me demander de parler de Montebello.