Chapitre 2 : Quelques jours à Ottawa puis je m'installe à Vancouver
Chapitre 1 ici
Alors que les Beaudoin* s'éloignaient pour regagner leurs pénates, j'attendais Christine* qui devait passer me chercher. Je passerais quelques jours chez elle en attendant de décider si je suivais l'appel de l'océan ou si je restais à Ottawa.
Christine était ma correspondante de 1999 à Sudbury. Elle avait déménagé à Ottawa pour ses études et vivait dans un appartement d'une chambre sur Alta Vista. En bonne hôte, elle m'avait libéré un tiroir de sa commode pour que je puisse y mettre quelques affaires et déplié le canapé du salon. Je décidais de passer 1 ou 2 semaines à Ottawa, car je trouvais dommage de n'y rester que quelques jours. Ça me faisait penser à ceux qui disent « J'ai fait la France, l'Italie, l'Allemagne » alors qu'ils ne sont restés que 2 jours à Paris, 3 jours à Milan et sont allés prendre l'avion à Frankfort pour retourner chez eux. Non. Moi, j'y passerais un peu plus de temps pour explorer et après j’irais à Vancouver.
Ne voulant pas déranger Christine trop longtemps, je me mis en quête d'un appartement à Ottawa, proche du centre-ville car j'étais ici pour changer de vie. J'ai grandi dans un hameau sans autres moyens de me déplacer que mes jambes ou mon vélo. Mes amis habitaient tous dans le même village, celui d'à côté, et se voyaient tous les mercredis et tous les samedis. Moi je ne pouvais les voir qu'au collège ou quand mes parents pouvaient m’amener chez eux. C’est pourquoi je décidais que ma vie d'adulte serait en ville où je pourrais être indépendante.
Ma quête d'appartement prit une tournure inattendue: La compagnie d'autobus qui me permettait de me déplacer pour aller visiter les appartements à Ottawa était en grève. Janvier 2009 m'apportait aussi ma première neige en grande quantité. C'est là que j'appris l'expression « Cabin fever »: Un sentiment de claustrophobie mêlé à une angoisse de mettre le nez dehors. Ça ne dura pas longtemps car je n’avais jamais vu autant de neige de toute ma vie et je brûlais d’envie de sortir pour voir le paysage.
Christine étant occupée et voyant que je tournais en rond, me présenta son ami Patrick qui m'emmena avec lui dans la majorité de ses déplacements. Pat était formateur en premiers secours pour les cadets de l’armée Canadienne mais aussi réserviste. Il m'emmenait littéralement partout. Chez sa mère, à la messe, aux soupers de l'armée, à ses cours de secourisme, au restau, dans les magasins, je suis même allée souper dans un des édifices du Parlement. Je découvris la région avec Pat qui était tellement bien élevé qu'il insistait pour m'ouvrir la porte de la voiture. Malgré mes protestations et le fait que je brandissais l'égalité des sexes, il persistait à se comporter en gentleman.
Les tensions commençant à monter avec Christine, j’appelai au secours Jackie et Jean Paul, la tante et l’oncle de M. Beaudouin qui nous avaient hébergés quelques jours avant le mariage. Ils me prêtèrent une chambre et en moins de deux semaines je pus accomplir beaucoup : Je vis l’annonce d’une école qui cherchait des professeurs de FLE. Quel coup de chance, me dis-je, c’était mon domaine d’études. Je contactai alors la conseillère pédagogique qui m’embaucha après l’entrevue et me donna mes premiers étudiants trois jours plus tard. En parallèle, je constatais que le prix des loyers en centre-ville d’Ottawa était assez élevé. Il me prit l’idée de regarder de l’autre côté de la rivière. C’était géographiquement proche du centre-ville, la compagnie d’autobus était différente et pas en grève et les loyers étaient abordables. J’étudiai la distance entre l’école de langues et la zone d’habitation acceptable puis je trouvai une chambre à louer. Jackie m’emmena visiter le logement qui me convint parfaitement et j’y déménageais le lendemain. ‘’Déménager’’ était un bien grand mot car je n’avais qu’un sac à dos et une valise. Je resterais chez Carole un an et demi.
Travail, logement, il ne me manquait plus que des amis, autres que Patrick que je ne voulais pas solliciter en permanence.
Comment on fait pour rencontrer des gens ? On sort, me dis-je. Mon choix définitif se fit sur un estaminet Ottavien embrassant la cause de l’Arc En Ciel, révélation eue quelques semaines auparavant. J’hésitai pourtant et à chaque marche que je montais une phrase me revenait dans la tête ‘’Tu peux encore faire demi-tour’’. L’escalier prit fin et je me retrouvai devant la porte. ‘’Si je franchis le seuil, je change de vie’’. Je n’avais pas terminé cette phrase que j’y fus déjà.
Je m’asseyai devant les tireuses, espérant que ces poignées m’aideraient à cacher ma timidité.
Le bar était presque vide. Sue, la barmaid, commença la conversation en me servant la bière que j’avais commandée. Je lui racontai que je venais d’arriver au Canada et que je ne connaissais personne. Elle m’indiqua plusieurs options pour rencontrer des gens de mon âge (soirées, associations, groupes de discussion) et me dit que j’étais la bienvenue n’importe quand dans ce bar. Puis elle vaqua de nouveau à ses occupations.
À côté de moi, était assis un homme qui tassait un journal. Encore un peu mal à l’aise et cherchant désespérément à m’occuper pendant que je terminais ma bière, je lui demandais si je pouvais emprunter le journal. Il grogna que le journal n’appartenait pas au bar mais à lui, mais que je pouvais quand même le lui emprunter. Il me faisait penser à Pépé Job qui maugréait plus qu’il ne parlait pour cacher sa tendresse. Ma lecture et ma bière finies, je rendis son journal a Tom en le remerciant, saluai Sue et repartis chez moi. Finalement j’avais stressé pour rien.
Je retournai au bar un autre soir et m’assis à la même place. Mon regard croisa celui d’un autre homme, souriant. Vous savez quand vous rencontrez quelqu’un pour la première fois et que vous savez tout de suite que c’est une bonne personne ? C’est ce qui se passa. On se mit à discuter en anglais mais il me manqua un mot que je dis en français.
‘’Ah bin, t’es francophone ? On peut parler en français d’abord !’’. Réjean venait du Lac St Jean et vivait dans la région depuis de nombreuses années. On discuta pendant environ une heure. Je me sentais en sécurité parce que pour une fois je parlais à un homme dans un bar sans qu’il pense me ramener dans son lit. Puis une musique entrainante passa et je ne sais plus lequel de nous 2 proposa à l’autre d’aller danser. Ce que nous fîmes, ‘’sul’speaker’’ comme on aime le raconter maintenant : L’un entraina l’autre sur le haut-parleur qui servait aussi de podium. On dansa un peu ce qui fit sourire Sue. Il n’y avait que 3 ou 4 clients dans le bar et ça devait probablement contraster avec le vendredi soir, soirée des filles, dont elle m’avait parlé. Encore aujourd’hui je chéris ce moment car c’est la première fois que je me sentais chez moi et en famille depuis le départ de mon père.
Nous retournâmes discuter un peu. Au moment où on finissait notre bière, Réjean me proposa de revenir le lendemain car c’est le soir où toute sa gang se retrouvait et qu’il voulait me présenter.
Ce soir-là je rentrais avec un sourire plus large que d’habitude. J’avais retrouvé le sentiment d’être avec les miens et j’allais rencontrer d’autres personnes le lendemain.
Le vendredi, ma journée de travail terminée, je franchis de nouveau le seuil du LO. Ce soir-là effectivement le bar était un peu plus rempli, c’était la gang de Réjean qui donnait cette impression. Réjean m’aperçut : ‘’Je vous présente ma nouvelle amie Ana, elle est Bretonne et elle vient d’arriver au Canada’’. Timide, je saluais tout le monde. Sa gang n’était composée que de gars, tous aussi accueillants les uns que les autres. Gary, Michel, Luc, Denis, Marc, Jason, Jean Marie (Franco-Canadien mais plus français de cœur) et Chris. Je passais une excellente soirée et tous me firent promettre de revenir le vendredi suivant, ce qui devint une habitude. Au fil des soirées, je fis aussi la connaissance de Johanne et France, des collègues de Réjean du Palais de Justice. Mais je continuais de les appeler ‘’mon harem’’ malgré les présences féminines.
Un soir je restais traîner au bar un peu plus longtemps que prévu et, je vous le jure ce n’était pas dans mon intention, j’assistai au début de la soirée des filles. Il y en avait quelques-unes qui attiraient mon attention par leurs cris et je décidais de rester les observer un moment. C’était le même manège à chaque fois. Elles arrivaient seules ou par 2 à quelques minutes d’intervalle et celles qui étaient déjà là criaient dès qu’elles voyaient leurs copines arriver. Une d’entre elle me vit sourire puis rire et elle m’invita à les rejoindre. On fit connaissance rapidement, mais je voulais partir car la fatigue se faisait sentir et la musique était trop forte à mon goût. On échangea nos numéros et je rentrais chez moi.
Quelques jours plus tard, je recevais un texto qui me proposait d’aller jouer au baseball. J’allais emprunter un gant de baseball chez le voisin et je retrouvais la gang de filles à Gatineau. Je n’avais aucune idée de comment jouer au baseball et ça se vit tout de suite. Après avoir frappé la balle, je restais plantée là. ‘’Mais cours !’’ me criaient les filles. ‘’Où je vais ?’’demandais-je, ‘’Là, sur les marques blanches !’’. Ah, d’accord, c’est comme la thèque. ‘’Coudon Ana, t’as jamais joué au baseball ?’’. Non, jamais. La seule expérience que j’avais, c’était ce que j’avais vu dans les films : Le gars frappe la balle, elle va loin, et tout le monde crie de joie en le soulevant. Ce fut une belle après-midi pendant laquelle je pus faire plus ample connaissance en particulier avec Nancy et Marilyse.
[Avance rapide]
Un mois plus tard, Marilyse m’aidait à soigner mon premier chagrin d’amour et me présentait à un autre cercle d’amis, Nick, Chris, Alain et les 2 Do, qui m’en présentèrent d’autres, Katrine, Jean-Félix et Chris l’Australien. Nous fîmes la fête tout l’été mais je restais fidèle à mon Harem. Le vendredi soir était (et est toujours 8 ans après) réservé pour eux.
Mon père vint aussi me voir pendant l’été pendant 2 semaines voir comment j’étais installée et pour se rassurer sur mon état sentimental. Il avait pris un billet d’avion sur un coup de tête après une session Skype ou je l’avais probablement inquiété.
Marilyse me présenta sa sœur et ses parents chacun de leur bord, avec qui je m’entendais vraiment bien. La première fois que je rencontrais Jocelyn, il me dit ‘’T’es grosse, t’es vieille pis t’es moche’’. C’est comme ça qu’il teste les gens. Je lui répondis ‘’Ah ben comme ça, ça nous fait 3 points communs.’’ Ses filles éclatèrent de rire et Jocelyn et moi fûmes amis. Ils m’accueillaient comme l’une des leurs, tant du côté de Jocelyn que de celui de Nicole.
Entre temps, l’école pour laquelle je travaillais avait fermé et me retrouvant sans travail après un contrat de quelques semaines dans l’école de Sylvie, Carole me mit en contact avec une agence de placement par l’entremise de laquelle je trouvais un travail dans une agence ministérielle. Là, j’eus une brève idée de la vie de fonctionnaire. Je n’aimais certes que peu ce travail mais c’était moins pire que l’usine et j’en étais consciente. Je fis pourtant la connaissance de Joanne et de Josée, deux très gentilles femmes qui s’occupaient de moi avec toute leur bienveillance. Voulant me caser, d’autres copines de l’époque, Manon B. et Mélanie, me mirent en contact avec Annie. Après un verre ou deux et de grandes discussions nous devinrent juste amies. Aujourd’hui encore nous nous voyons très souvent. Annie fit de même et me présenta Manon Br et il se passa la même chose : Manon est une amie que je vois toujours aujourd’hui.
L’été prit fin tout comme mon contrat qui ne fut pas renouvelé parce que, avouons-le, j’étais nulle dans ce boulot-là. Je fus tellement contente quand ma superviseure me raccompagna à la porte –sans prévenir personne de mon départ et en espérant que personne ne me reverrait- que j’appelais Nick aussitôt et allais fêter chez lui en fin d’après-midi. Entre temps, je réservais un billet d’avion pour Halifax et une semaine dans une auberge de jeunesse. Ayant toujours été passionnée par l’histoire du Titanic (le bateau, pas le film), j’avais effectué beaucoup de recherches et j’avais découvert que c’est là qu’avaient été rapatriés les survivants, les corps et les restes du bateau après le naufrage.
J’y passais une semaine très enrichissante. Plus tard, je profitais aussi de mes quelques sous de côtés pour me payer un saut en parachute en tandem pour lequel Marilyse m’accompagna, et pour m’offrir mon premier tatouage.
Quelques jours plus tard, 2 écoles me contactèrent. L’une pour un mi-temps et celle de Sylvie pour un temps plein. Évidemment mon choix se fit sur la stabilité. Brian fut mon étudiant pendant quelques semaines mais il est surtout encore mon ami aujourd’hui.
Ma vie professionnelle continua de bien aller et j’enchaînais contrat après contrat. La fin de mon visa approchait et j’en avais obtenu un autre grâce à Sylvie qui avait fait les démarches. Je passerais une autre année et demie au Canada et je commençais en même temps à demander la résidence permanente pour pouvoir rester à vie au Canada sans craindre cette épée de Damoclès au-dessus de la tête qui me forcerait à rentrer en France.
Fin 2010, je déménageais de chez Carole pour me rapprocher de mon travail et rejoignais la coloc des jumeaux sur la rue Papineau. Je m’entendais à merveille avec Stéphanie et Kayla son berger allemand, mais pas vraiment avec son frère. Il y eut pourtant quelques soirées où Sean fut gentil pendant lesquelles on jouait à tuer des zombies sur la Playstation. Un soir de décembre en particulier, Sean et Steph me trouvèrent le regard dans le vide dans le salon avec Kayla qui, comme à son habitude, émettait des râlements parce qu’elle n’avait pas d’attention. ‘’You’re ok Ana ?’’. Non, ça n’allait pas vraiment. Notre copine Manon B s’était enlevé la vie. Elle était en dépression depuis très longtemps et personne ne s’en était aperçu. ‘’Let’s go get some booze’’ dit Sean. Nous nous installâmes à la table de la cuisine et passâmes la soirée autour d’une bouteille de vin et de bières à parler de la vie, des êtres chers qu’on avait perdus et comment on voyait la mort.
Je passais les derniers mois de mon visa sur la rue Papineau puis je dus, par obligation et non gaité de cœur, quitter mon beau pays pour m’en retourner en France. Ma famille me manquait mais je savais déjà depuis longtemps que ma vie était au Canada.
Entre temps, Linda et Gynette s’étaient jointes à mon Harem. Elles avaient vécu longtemps en campagne et revenaient vivre à la ville. Jean Marie m’avait présenté Judith en espérant que ça aboutisse à une belle histoire. Jamais 2 sans 3, Judith devint une très bonne amie mais rien de plus. J’entends encore Gynette, alors que je savourais tristement mon dernier verre au bar avant longtemps, nous répéter ‘’Mais mariez-vous ! Comme ça tu pourras rester ! Mariez-vous bon sang !’’. Je regardais Judith, elle aussi amusée et un peu gênée. Non, je ne me marierais pas juste pour rester ici.
Pensant que les démarches pour un troisième visa en attendant la RP ne seraient pas longues et me permettrait de rester légalement dans mon nouveau chez moi, j’entreposais mes affaires chez Nick et Alain et repartis donc en Bretagne quelques semaines en 2011 le temps d’obtenir ce précieux visa. Audrey m’emmena en Mongolie pendant le mois d’août et me permit de réaliser un de mes rêves.
Au retour de ce voyage extraordinaire, je reçus une douche froide. Le Québec avait refusé ma demande de visa (mais empoché les 350$ de frais de traitement) car même si je participais à la francisation des anglos et que le siège social de l’école était bien au Québec, les salles de classe étaient physiquement en Ontario, à moins d’un kilomètre de la frontière entre les 2 provinces. Je rageais et me résignais à passer un temps indéfini en Bretagne en attendant ma résidence permanente.
Septembre-Octobre, je vécu chez mon frère Satan* (il n’aime pas avoir son vrai nom sur Internet) à Rennes où je fis connaissance de sa nouvelle compagne Nagate. Forte de mon expérience de professeur, j’espérais trouver un boulot plus ou moins dans le domaine de l’enseignement. Effectivement il y eut de l’enseignement : On m’apprit à éplucher des poireaux, manier une plonge, travailler sous stress permanent et dans une équipe dysfonctionnelle. Je travaillais 2 mois comme plongeuse dans une crêperie jusqu’à ce que mes parents me forcent à revenir chez l’un ou l’autre, au choix, car je gagnais tellement peu que je ne pouvais m’offrir que de la soupe ou du pain pour subsister. Mes collègues et superviseurs à la crêperie se cachaient du grand patron pour me nourrir. Un matin je me levais et m’évanouis. Ce fut la goutte d’eau qui mit le feu aux poudres et je rentrais au bercail car j’avais trouvé un travail sur la presqu’île de Rhuys. Je livrais des pizzas de Novembre à Avril. Les plus gros pourboires, je les faisais avec ma famille. Souvent le soir, je rentrais sans un sou à part ceux qui revenaient à Denis, le patron. Un jour je rentrais avec 2€ de pourboire, un exploit. Tonton me taquina : ‘’Wow Pupuce, qu’est-ce que tu vas faire avec tout cet argent ?’’. Un autre soir, un monsieur s’était caché de sa femme pour me donner 5€. J’avais trouvé ça mignon et j’avais répondu à son clin d’œil par un autre clin d’œil.
Les mois passèrent ainsi, parcourant les routes de la presqu’île la musique à fond dans une belle voiture à livrer un de mes plats préférés aux habitants du coin. Au moins, ces deux expériences professionnelles confirmaient que ma vie n’était définitivement ni en France ni en Bretagne.
Heureusement il existait un système qui permettait de suivre l’évolution de la demande de RP sur le site d’Immigration Canada. Selon mes calculs, je devrais l’obtenir entre Mai et Août 2012 et je décidais de tenter un retour. On avait le droit d’être sur le territoire Canadien pendant 3 mois maximum, après on devrait partir. Ça me laissait de la marge. Après quelques recherches, je trouvais un aller simple Nantes Montréal pour 235€ (environ 350$). Ça tombait bien car Nick, de sa délicatesse habituelle, m’avait envoyé un message : ‘’Bon t’es gentille, mais on déménage chacun de son côté alors va falloir que tu viennes récupérer tes affaires.’’ Lui qui m’avait dit qu’il les garderait jusqu’à mon retour quoi qu’il arrive.. Je l’avais aussi mis dans la confidence d’un retour potentiel proche et voulais faire une surprise à Marilyse (qui, avec les années, avait obtenu le statut de meilleure amie Canadienne) mais le secret était semble-t-il trop lourd à porter et il cracha le morceau avant même que je remette les pieds sur ma terre d’accueil. Tant pis pour la surprise. [Note aux lecteurs : J’ai arrêté de lui parler en 2013 suite à plusieurs ‘’incidents’’ inacceptables]
Je demandais conseil à mes parents sur l’achat du billet d’avion et décidais de sauter le pas. La veille du départ, je serrais fort mon père dans mes bras, comme on l’avait fait ce jour de janvier 2009 à l’aéroport d’Ottawa. Il était fier et triste en même temps.
Le lendemain ma mère et Tonton m’emmenèrent à l’aéroport de Nantes. Parée de ma nouvelle guitare, j’étais rayonnante et triste en même temps et ma mère pleurait de me voir partir une nouvelle fois de l’autre côté de l’Atlantique.
Là encore, j’avais l’option d’aller m’installer à Vancouver. L’appel de la mer était toujours aussi vif. Mais j’avais tellement hâte de revoir mes amis et de retrouver ma vie Canadienne que je reportais à plus tard et une nouvelle fois ce projet. Pour l’instant je suivais mon cœur qui était resté en Outaouais.
Alors que les Beaudoin* s'éloignaient pour regagner leurs pénates, j'attendais Christine* qui devait passer me chercher. Je passerais quelques jours chez elle en attendant de décider si je suivais l'appel de l'océan ou si je restais à Ottawa.
Christine était ma correspondante de 1999 à Sudbury. Elle avait déménagé à Ottawa pour ses études et vivait dans un appartement d'une chambre sur Alta Vista. En bonne hôte, elle m'avait libéré un tiroir de sa commode pour que je puisse y mettre quelques affaires et déplié le canapé du salon. Je décidais de passer 1 ou 2 semaines à Ottawa, car je trouvais dommage de n'y rester que quelques jours. Ça me faisait penser à ceux qui disent « J'ai fait la France, l'Italie, l'Allemagne » alors qu'ils ne sont restés que 2 jours à Paris, 3 jours à Milan et sont allés prendre l'avion à Frankfort pour retourner chez eux. Non. Moi, j'y passerais un peu plus de temps pour explorer et après j’irais à Vancouver.
Ne voulant pas déranger Christine trop longtemps, je me mis en quête d'un appartement à Ottawa, proche du centre-ville car j'étais ici pour changer de vie. J'ai grandi dans un hameau sans autres moyens de me déplacer que mes jambes ou mon vélo. Mes amis habitaient tous dans le même village, celui d'à côté, et se voyaient tous les mercredis et tous les samedis. Moi je ne pouvais les voir qu'au collège ou quand mes parents pouvaient m’amener chez eux. C’est pourquoi je décidais que ma vie d'adulte serait en ville où je pourrais être indépendante.
Ma quête d'appartement prit une tournure inattendue: La compagnie d'autobus qui me permettait de me déplacer pour aller visiter les appartements à Ottawa était en grève. Janvier 2009 m'apportait aussi ma première neige en grande quantité. C'est là que j'appris l'expression « Cabin fever »: Un sentiment de claustrophobie mêlé à une angoisse de mettre le nez dehors. Ça ne dura pas longtemps car je n’avais jamais vu autant de neige de toute ma vie et je brûlais d’envie de sortir pour voir le paysage.
Christine étant occupée et voyant que je tournais en rond, me présenta son ami Patrick qui m'emmena avec lui dans la majorité de ses déplacements. Pat était formateur en premiers secours pour les cadets de l’armée Canadienne mais aussi réserviste. Il m'emmenait littéralement partout. Chez sa mère, à la messe, aux soupers de l'armée, à ses cours de secourisme, au restau, dans les magasins, je suis même allée souper dans un des édifices du Parlement. Je découvris la région avec Pat qui était tellement bien élevé qu'il insistait pour m'ouvrir la porte de la voiture. Malgré mes protestations et le fait que je brandissais l'égalité des sexes, il persistait à se comporter en gentleman.
Les tensions commençant à monter avec Christine, j’appelai au secours Jackie et Jean Paul, la tante et l’oncle de M. Beaudouin qui nous avaient hébergés quelques jours avant le mariage. Ils me prêtèrent une chambre et en moins de deux semaines je pus accomplir beaucoup : Je vis l’annonce d’une école qui cherchait des professeurs de FLE. Quel coup de chance, me dis-je, c’était mon domaine d’études. Je contactai alors la conseillère pédagogique qui m’embaucha après l’entrevue et me donna mes premiers étudiants trois jours plus tard. En parallèle, je constatais que le prix des loyers en centre-ville d’Ottawa était assez élevé. Il me prit l’idée de regarder de l’autre côté de la rivière. C’était géographiquement proche du centre-ville, la compagnie d’autobus était différente et pas en grève et les loyers étaient abordables. J’étudiai la distance entre l’école de langues et la zone d’habitation acceptable puis je trouvai une chambre à louer. Jackie m’emmena visiter le logement qui me convint parfaitement et j’y déménageais le lendemain. ‘’Déménager’’ était un bien grand mot car je n’avais qu’un sac à dos et une valise. Je resterais chez Carole un an et demi.
Travail, logement, il ne me manquait plus que des amis, autres que Patrick que je ne voulais pas solliciter en permanence.
Comment on fait pour rencontrer des gens ? On sort, me dis-je. Mon choix définitif se fit sur un estaminet Ottavien embrassant la cause de l’Arc En Ciel, révélation eue quelques semaines auparavant. J’hésitai pourtant et à chaque marche que je montais une phrase me revenait dans la tête ‘’Tu peux encore faire demi-tour’’. L’escalier prit fin et je me retrouvai devant la porte. ‘’Si je franchis le seuil, je change de vie’’. Je n’avais pas terminé cette phrase que j’y fus déjà.
Je m’asseyai devant les tireuses, espérant que ces poignées m’aideraient à cacher ma timidité.
Le bar était presque vide. Sue, la barmaid, commença la conversation en me servant la bière que j’avais commandée. Je lui racontai que je venais d’arriver au Canada et que je ne connaissais personne. Elle m’indiqua plusieurs options pour rencontrer des gens de mon âge (soirées, associations, groupes de discussion) et me dit que j’étais la bienvenue n’importe quand dans ce bar. Puis elle vaqua de nouveau à ses occupations.
À côté de moi, était assis un homme qui tassait un journal. Encore un peu mal à l’aise et cherchant désespérément à m’occuper pendant que je terminais ma bière, je lui demandais si je pouvais emprunter le journal. Il grogna que le journal n’appartenait pas au bar mais à lui, mais que je pouvais quand même le lui emprunter. Il me faisait penser à Pépé Job qui maugréait plus qu’il ne parlait pour cacher sa tendresse. Ma lecture et ma bière finies, je rendis son journal a Tom en le remerciant, saluai Sue et repartis chez moi. Finalement j’avais stressé pour rien.
Je retournai au bar un autre soir et m’assis à la même place. Mon regard croisa celui d’un autre homme, souriant. Vous savez quand vous rencontrez quelqu’un pour la première fois et que vous savez tout de suite que c’est une bonne personne ? C’est ce qui se passa. On se mit à discuter en anglais mais il me manqua un mot que je dis en français.
‘’Ah bin, t’es francophone ? On peut parler en français d’abord !’’. Réjean venait du Lac St Jean et vivait dans la région depuis de nombreuses années. On discuta pendant environ une heure. Je me sentais en sécurité parce que pour une fois je parlais à un homme dans un bar sans qu’il pense me ramener dans son lit. Puis une musique entrainante passa et je ne sais plus lequel de nous 2 proposa à l’autre d’aller danser. Ce que nous fîmes, ‘’sul’speaker’’ comme on aime le raconter maintenant : L’un entraina l’autre sur le haut-parleur qui servait aussi de podium. On dansa un peu ce qui fit sourire Sue. Il n’y avait que 3 ou 4 clients dans le bar et ça devait probablement contraster avec le vendredi soir, soirée des filles, dont elle m’avait parlé. Encore aujourd’hui je chéris ce moment car c’est la première fois que je me sentais chez moi et en famille depuis le départ de mon père.
Nous retournâmes discuter un peu. Au moment où on finissait notre bière, Réjean me proposa de revenir le lendemain car c’est le soir où toute sa gang se retrouvait et qu’il voulait me présenter.
Ce soir-là je rentrais avec un sourire plus large que d’habitude. J’avais retrouvé le sentiment d’être avec les miens et j’allais rencontrer d’autres personnes le lendemain.
Le vendredi, ma journée de travail terminée, je franchis de nouveau le seuil du LO. Ce soir-là effectivement le bar était un peu plus rempli, c’était la gang de Réjean qui donnait cette impression. Réjean m’aperçut : ‘’Je vous présente ma nouvelle amie Ana, elle est Bretonne et elle vient d’arriver au Canada’’. Timide, je saluais tout le monde. Sa gang n’était composée que de gars, tous aussi accueillants les uns que les autres. Gary, Michel, Luc, Denis, Marc, Jason, Jean Marie (Franco-Canadien mais plus français de cœur) et Chris. Je passais une excellente soirée et tous me firent promettre de revenir le vendredi suivant, ce qui devint une habitude. Au fil des soirées, je fis aussi la connaissance de Johanne et France, des collègues de Réjean du Palais de Justice. Mais je continuais de les appeler ‘’mon harem’’ malgré les présences féminines.
Un soir je restais traîner au bar un peu plus longtemps que prévu et, je vous le jure ce n’était pas dans mon intention, j’assistai au début de la soirée des filles. Il y en avait quelques-unes qui attiraient mon attention par leurs cris et je décidais de rester les observer un moment. C’était le même manège à chaque fois. Elles arrivaient seules ou par 2 à quelques minutes d’intervalle et celles qui étaient déjà là criaient dès qu’elles voyaient leurs copines arriver. Une d’entre elle me vit sourire puis rire et elle m’invita à les rejoindre. On fit connaissance rapidement, mais je voulais partir car la fatigue se faisait sentir et la musique était trop forte à mon goût. On échangea nos numéros et je rentrais chez moi.
Quelques jours plus tard, je recevais un texto qui me proposait d’aller jouer au baseball. J’allais emprunter un gant de baseball chez le voisin et je retrouvais la gang de filles à Gatineau. Je n’avais aucune idée de comment jouer au baseball et ça se vit tout de suite. Après avoir frappé la balle, je restais plantée là. ‘’Mais cours !’’ me criaient les filles. ‘’Où je vais ?’’demandais-je, ‘’Là, sur les marques blanches !’’. Ah, d’accord, c’est comme la thèque. ‘’Coudon Ana, t’as jamais joué au baseball ?’’. Non, jamais. La seule expérience que j’avais, c’était ce que j’avais vu dans les films : Le gars frappe la balle, elle va loin, et tout le monde crie de joie en le soulevant. Ce fut une belle après-midi pendant laquelle je pus faire plus ample connaissance en particulier avec Nancy et Marilyse.
[Avance rapide]
Un mois plus tard, Marilyse m’aidait à soigner mon premier chagrin d’amour et me présentait à un autre cercle d’amis, Nick, Chris, Alain et les 2 Do, qui m’en présentèrent d’autres, Katrine, Jean-Félix et Chris l’Australien. Nous fîmes la fête tout l’été mais je restais fidèle à mon Harem. Le vendredi soir était (et est toujours 8 ans après) réservé pour eux.
Mon père vint aussi me voir pendant l’été pendant 2 semaines voir comment j’étais installée et pour se rassurer sur mon état sentimental. Il avait pris un billet d’avion sur un coup de tête après une session Skype ou je l’avais probablement inquiété.
Marilyse me présenta sa sœur et ses parents chacun de leur bord, avec qui je m’entendais vraiment bien. La première fois que je rencontrais Jocelyn, il me dit ‘’T’es grosse, t’es vieille pis t’es moche’’. C’est comme ça qu’il teste les gens. Je lui répondis ‘’Ah ben comme ça, ça nous fait 3 points communs.’’ Ses filles éclatèrent de rire et Jocelyn et moi fûmes amis. Ils m’accueillaient comme l’une des leurs, tant du côté de Jocelyn que de celui de Nicole.
Entre temps, l’école pour laquelle je travaillais avait fermé et me retrouvant sans travail après un contrat de quelques semaines dans l’école de Sylvie, Carole me mit en contact avec une agence de placement par l’entremise de laquelle je trouvais un travail dans une agence ministérielle. Là, j’eus une brève idée de la vie de fonctionnaire. Je n’aimais certes que peu ce travail mais c’était moins pire que l’usine et j’en étais consciente. Je fis pourtant la connaissance de Joanne et de Josée, deux très gentilles femmes qui s’occupaient de moi avec toute leur bienveillance. Voulant me caser, d’autres copines de l’époque, Manon B. et Mélanie, me mirent en contact avec Annie. Après un verre ou deux et de grandes discussions nous devinrent juste amies. Aujourd’hui encore nous nous voyons très souvent. Annie fit de même et me présenta Manon Br et il se passa la même chose : Manon est une amie que je vois toujours aujourd’hui.
L’été prit fin tout comme mon contrat qui ne fut pas renouvelé parce que, avouons-le, j’étais nulle dans ce boulot-là. Je fus tellement contente quand ma superviseure me raccompagna à la porte –sans prévenir personne de mon départ et en espérant que personne ne me reverrait- que j’appelais Nick aussitôt et allais fêter chez lui en fin d’après-midi. Entre temps, je réservais un billet d’avion pour Halifax et une semaine dans une auberge de jeunesse. Ayant toujours été passionnée par l’histoire du Titanic (le bateau, pas le film), j’avais effectué beaucoup de recherches et j’avais découvert que c’est là qu’avaient été rapatriés les survivants, les corps et les restes du bateau après le naufrage.
J’y passais une semaine très enrichissante. Plus tard, je profitais aussi de mes quelques sous de côtés pour me payer un saut en parachute en tandem pour lequel Marilyse m’accompagna, et pour m’offrir mon premier tatouage.
Quelques jours plus tard, 2 écoles me contactèrent. L’une pour un mi-temps et celle de Sylvie pour un temps plein. Évidemment mon choix se fit sur la stabilité. Brian fut mon étudiant pendant quelques semaines mais il est surtout encore mon ami aujourd’hui.
Ma vie professionnelle continua de bien aller et j’enchaînais contrat après contrat. La fin de mon visa approchait et j’en avais obtenu un autre grâce à Sylvie qui avait fait les démarches. Je passerais une autre année et demie au Canada et je commençais en même temps à demander la résidence permanente pour pouvoir rester à vie au Canada sans craindre cette épée de Damoclès au-dessus de la tête qui me forcerait à rentrer en France.
Fin 2010, je déménageais de chez Carole pour me rapprocher de mon travail et rejoignais la coloc des jumeaux sur la rue Papineau. Je m’entendais à merveille avec Stéphanie et Kayla son berger allemand, mais pas vraiment avec son frère. Il y eut pourtant quelques soirées où Sean fut gentil pendant lesquelles on jouait à tuer des zombies sur la Playstation. Un soir de décembre en particulier, Sean et Steph me trouvèrent le regard dans le vide dans le salon avec Kayla qui, comme à son habitude, émettait des râlements parce qu’elle n’avait pas d’attention. ‘’You’re ok Ana ?’’. Non, ça n’allait pas vraiment. Notre copine Manon B s’était enlevé la vie. Elle était en dépression depuis très longtemps et personne ne s’en était aperçu. ‘’Let’s go get some booze’’ dit Sean. Nous nous installâmes à la table de la cuisine et passâmes la soirée autour d’une bouteille de vin et de bières à parler de la vie, des êtres chers qu’on avait perdus et comment on voyait la mort.
Je passais les derniers mois de mon visa sur la rue Papineau puis je dus, par obligation et non gaité de cœur, quitter mon beau pays pour m’en retourner en France. Ma famille me manquait mais je savais déjà depuis longtemps que ma vie était au Canada.
Entre temps, Linda et Gynette s’étaient jointes à mon Harem. Elles avaient vécu longtemps en campagne et revenaient vivre à la ville. Jean Marie m’avait présenté Judith en espérant que ça aboutisse à une belle histoire. Jamais 2 sans 3, Judith devint une très bonne amie mais rien de plus. J’entends encore Gynette, alors que je savourais tristement mon dernier verre au bar avant longtemps, nous répéter ‘’Mais mariez-vous ! Comme ça tu pourras rester ! Mariez-vous bon sang !’’. Je regardais Judith, elle aussi amusée et un peu gênée. Non, je ne me marierais pas juste pour rester ici.
Pensant que les démarches pour un troisième visa en attendant la RP ne seraient pas longues et me permettrait de rester légalement dans mon nouveau chez moi, j’entreposais mes affaires chez Nick et Alain et repartis donc en Bretagne quelques semaines en 2011 le temps d’obtenir ce précieux visa. Audrey m’emmena en Mongolie pendant le mois d’août et me permit de réaliser un de mes rêves.
Au retour de ce voyage extraordinaire, je reçus une douche froide. Le Québec avait refusé ma demande de visa (mais empoché les 350$ de frais de traitement) car même si je participais à la francisation des anglos et que le siège social de l’école était bien au Québec, les salles de classe étaient physiquement en Ontario, à moins d’un kilomètre de la frontière entre les 2 provinces. Je rageais et me résignais à passer un temps indéfini en Bretagne en attendant ma résidence permanente.
Septembre-Octobre, je vécu chez mon frère Satan* (il n’aime pas avoir son vrai nom sur Internet) à Rennes où je fis connaissance de sa nouvelle compagne Nagate. Forte de mon expérience de professeur, j’espérais trouver un boulot plus ou moins dans le domaine de l’enseignement. Effectivement il y eut de l’enseignement : On m’apprit à éplucher des poireaux, manier une plonge, travailler sous stress permanent et dans une équipe dysfonctionnelle. Je travaillais 2 mois comme plongeuse dans une crêperie jusqu’à ce que mes parents me forcent à revenir chez l’un ou l’autre, au choix, car je gagnais tellement peu que je ne pouvais m’offrir que de la soupe ou du pain pour subsister. Mes collègues et superviseurs à la crêperie se cachaient du grand patron pour me nourrir. Un matin je me levais et m’évanouis. Ce fut la goutte d’eau qui mit le feu aux poudres et je rentrais au bercail car j’avais trouvé un travail sur la presqu’île de Rhuys. Je livrais des pizzas de Novembre à Avril. Les plus gros pourboires, je les faisais avec ma famille. Souvent le soir, je rentrais sans un sou à part ceux qui revenaient à Denis, le patron. Un jour je rentrais avec 2€ de pourboire, un exploit. Tonton me taquina : ‘’Wow Pupuce, qu’est-ce que tu vas faire avec tout cet argent ?’’. Un autre soir, un monsieur s’était caché de sa femme pour me donner 5€. J’avais trouvé ça mignon et j’avais répondu à son clin d’œil par un autre clin d’œil.
Les mois passèrent ainsi, parcourant les routes de la presqu’île la musique à fond dans une belle voiture à livrer un de mes plats préférés aux habitants du coin. Au moins, ces deux expériences professionnelles confirmaient que ma vie n’était définitivement ni en France ni en Bretagne.
Heureusement il existait un système qui permettait de suivre l’évolution de la demande de RP sur le site d’Immigration Canada. Selon mes calculs, je devrais l’obtenir entre Mai et Août 2012 et je décidais de tenter un retour. On avait le droit d’être sur le territoire Canadien pendant 3 mois maximum, après on devrait partir. Ça me laissait de la marge. Après quelques recherches, je trouvais un aller simple Nantes Montréal pour 235€ (environ 350$). Ça tombait bien car Nick, de sa délicatesse habituelle, m’avait envoyé un message : ‘’Bon t’es gentille, mais on déménage chacun de son côté alors va falloir que tu viennes récupérer tes affaires.’’ Lui qui m’avait dit qu’il les garderait jusqu’à mon retour quoi qu’il arrive.. Je l’avais aussi mis dans la confidence d’un retour potentiel proche et voulais faire une surprise à Marilyse (qui, avec les années, avait obtenu le statut de meilleure amie Canadienne) mais le secret était semble-t-il trop lourd à porter et il cracha le morceau avant même que je remette les pieds sur ma terre d’accueil. Tant pis pour la surprise. [Note aux lecteurs : J’ai arrêté de lui parler en 2013 suite à plusieurs ‘’incidents’’ inacceptables]
Je demandais conseil à mes parents sur l’achat du billet d’avion et décidais de sauter le pas. La veille du départ, je serrais fort mon père dans mes bras, comme on l’avait fait ce jour de janvier 2009 à l’aéroport d’Ottawa. Il était fier et triste en même temps.
Le lendemain ma mère et Tonton m’emmenèrent à l’aéroport de Nantes. Parée de ma nouvelle guitare, j’étais rayonnante et triste en même temps et ma mère pleurait de me voir partir une nouvelle fois de l’autre côté de l’Atlantique.
Là encore, j’avais l’option d’aller m’installer à Vancouver. L’appel de la mer était toujours aussi vif. Mais j’avais tellement hâte de revoir mes amis et de retrouver ma vie Canadienne que je reportais à plus tard et une nouvelle fois ce projet. Pour l’instant je suivais mon cœur qui était resté en Outaouais.